Extrait
Evan Ratliff vient tout juste de prendre le volant de sa voiture pour abandonner son ancienne vie. Il lui faut maintenant brouiller les pistes.
13 août, 18 h 40 : Je quitte San Francisco par l’est sur l’I-80, pro¬fitant du crépuscule pour laisser ma vie derrière moi. Comme j’ai rejoint l’autoroute par un trajet alambiqué, plein de demi-tours et de bifurcations soudaines, je suis à peu près certain que personne ne me suit. Ça ne m’empêche pas de jeter régulièrement des coups d’œil dans le rétro. À partir de maintenant, la certitude n’existe plus. C’est en étant trop sûr de moi que je me ferai prendre.
J’avais eu l’intention de quitter la ville dans la journée, mais c’est incroyable le nombre de courses de dernière minute qu’il faut faire quand on part en cavale. Le matin même, je suis allé chercher un lot de cartes de visite réalisées par un professionnel pour ma fausse entreprise, mentionnée sous mon faux nom, James Donald Gatz. Chez Best Buy, j’ai acheté deux téléphones portables payés en liquide et un câble USB que j’ai réglé avec ma carte de crédit : j’espérais que cette somme dérisoire per¬turberait les chasseurs qui analyseraient mon ticket de caisse en se demandant quel gadget j’avais bien pu acheter. La vidange était, elle aussi, une fausse piste. Qui pourrait imaginer qu’un type sur le point de vendre sa bagnole irait dépenser 60 dollars chez Oil Can Henry’s ?
Je possédais déjà deux autres téléphones pré¬payés, j’en avais laissé un à ma petite amie et j’avais envoyé l’autre à mes parents pour qu’ils aient un moyen intraçable de me contacter en cas d’urgence. J’ai acheté de la teinture Just for Men pour barbe et moustache au supermarché. Mon dernier arrêt a été à la banque pour retirer un chèque de 477 dollars, le montant du loyer pour un bureau anonyme à Las Vegas, où je dois déposer ledit chèque avant demain midi.
En traversant le Bay Bridge, je me retourne pour jeter un dernier coup d’œil nostalgique sur la ligne des toits. Puis j’attrape mon téléphone dont je fais glisser la coque et j’en extrais la batterie. Un télé¬phone avec batterie est un téléphone traçable.
Environ vingt-cinq minutes plus tard, comme l’indiquera la base de données du Département des transports californien, ma Honda Civic 1999 verte immatriculée en Californie, numéro de plaque 4MUN509, franchit le poste de péage du Carniquez Bridge dans la dernière file, activant le badge de télépéage FasTrak, et poursuit sa route vers l’est en direction du lac Tahoe.
Ce que mes traces numériques ne montreront pas, en revanche, c’est que, quelques kilomètres après le pont, je décroche mon badge et le range dans un sac de toile dans mon coffre, d’où son signal n’est plus détectable. Elles ne montreront pas non plus que je fais alors demi-tour sur des routes de campagne pour rejoindre l’autoroute I-5 et que je roule vers le sud dans la nuit avant de prendre vers l’est à hauteur de Bakersfield. Aucun enregistrement numérique n’établira qu’à 4 heures du matin j’atteins Primm, une petite ville déprimante pleine de casinos à quarante minutes de Las Vegas, dans le Nevada, où, contre 15 dollars en cash, je m’offre une chambre avec vue sur un tas de gravats.