Dans le bureau
Jean-Charles Chapuzet nous reçoit dans la maison qu’il a retapée de ses mains à Jonzac, en Haute Saintonge. Une région bien connue de la famille Marchialy. C’est une bâtisse en pierres blanches au milieu des vignes. Son bureau est sous les toits, une large fenêtre donnant sur la campagne. Des coupures de presse, des livres, des objets sont disposés un peu partout, sur les poutres et les rayonnages de sa bibliothèque. L’auteur, dans son antre, revient sur l’écriture de son prochain livre, Du bleu dans la nuit.
Nous sommes sur la terrasse d’une longère, il fait nuit, une nuit d’été entre amis et amis d’amis où chacun raconte des histoires. L’une d’elles m’interpelle plus que les autres : un fait divers saisissant par son intensité comme par son dénouement surréaliste. J’y perçois beaucoup d’ingrédients, de la tragédie, du miracle s’il en est, de la récupération politique, en passant par le compte à rebours et le retentissement national. Cette histoire est racontée par un témoin de premier ordre, à savoir un membre de la Section de recherche qui dirigeait l’enquête au mois de février 2004. Ce soir-là, il m’a transmis son émotion. Nous étions en 2011 ou 2012, route de la Voie romaine dans le village de Neuillac pour être très précis. Après ça, je suis rentré chez moi et j’ai dormi comme un loir.
Je me décide à écrire cette histoire au début de l’année 2018. Je ne sais pas pourquoi à ce moment-là. J’ai sans doute besoin d’un temps de gestation, de la compréhension à l’acceptation. L’arc se tend et soudain je lâche. Je recontacte l’enquêteur pour lui dire que j’ai envie de raconter cette histoire de l’intérieur, me focaliser sur le travail d’enquête. Il me prévient d’emblée et à juste titre que sans l’accord et le témoignage du commandant de la SR de l’époque, c’est mission impossible. On finit par me présenter le Patron – surnom du commandant en question –, dans des circonstances troublantes que je raconte dans mon livre, qui m’accorde sa confiance. À partir de là, de nombreuses portes s’ouvrent, je retrouve tous les acteurs de ce fait divers, tous les protagonistes de ces vingt-cinq heures qui ont bousculé leurs vies. Et plus largement, au-delà des enquêteurs, un fait divers s’apprécie dans son histoire et dans sa géographie, en l’occurrence celles d’une petite ville de province où rien ne sera plus jamais comme avant. Il me reste à trier le vrai du faux, à discerner les Diabolos des Satanas, les Rougon des Macquart, la comédie de la connerie humaine, le grain de l’ivraie.
Dans mon précédent livre, Mauvais plan sur la comète, je suis revenu sur la vie d’un homme qui a vécu à quelques kilomètres de là où j’ai grandi, en Charente-Maritime. De fait, mon enquête avait quelque chose de personnel, une proximité quasi-anthropologique. Sans ça, je pense que je ne l’aurais pas écrit. Concernant cette fois Du bleu dans la nuit, c’est le fait divers en lui-même qui m’a interpellé. Il s’avère qu’il se déroule à Jarnac, commune natale de Mitterrand dans le département voisin de la Charente-Maritime – « le 16 » comme diraient les autocaristes. Dans tous les cas, j’aime saisir un territoire avec son langage, ses codes, ses couleurs, ses gueules, ses bouges, ses lunes dans les caniveaux, j’aime aller dans le décor. Car mon objectif est d’embarquer le lecteur avec moi, non pas en professeur de conscience dans une voiture confortable avec des certitudes dans les vide-poches ; le lecteur est davantage derrière moi sur le porte-bagages d’une mobylette avec de la perplexité et de la distance plein les sacoches. Il m’enlace ou pas, et on y va.