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Écrire Mazan

Une affaire. Mille façons de l’écrire.

Le 2 novembre 2020, Gisèle Pélicot voit les ténèbres s’abattre sur elle. Elle apprend que son mari est accusé de l’avoir droguée pour la faire violer par des dizaines d’inconnus dans leur maison de Mazan. Quatre ans plus tard s’ouvre le procès dit « des viols de Mazan ». Durant quatre mois, 51 hommes y sont jugés pour viols aggravés.

Écrire Mazan raconte ce procès historique et son hors-champ. Plus de 165 médias se sont accrédités auprès du tribunal judiciaire d’Avignon. Tous les détails de cette affaire ont parcouru les chaînes d’information et les journaux. Comment raconter ces faits ? Comment écrire la complexité des débats et des rapports humains ?

Après Les Nuits que l’on choisit, la chroniqueuse judiciaire Élise Costa ouvre son carnet d’observation et montre la mécanique du récit en regard de ses articles aussi publiés sur Slate.fr.

« Pour le premier papier de la série, je savais que je voulais faire le portrait de cette femme. »
Élise Costa

Élise Costa est née en 1982. Après des études de droit, elle devient journaliste pop culture et écrit un livre sur le phénomène Britney. En 2015, elle se lance avec succès dans la chronique judiciaire au long cours pour le webzine Slate. Elle est l’autrice des podcasts Fenêtre sur cour (ARTE Radio), dans lequel elle raconte son quotidien de chroniqueuse judiciaire, et Le Système (Slate.fr), qui explore la prison à travers ses différents acteurs.

INFOS TECHNIQUES

Littérature française
Chronique judiciaire – féminisme
978-2-38134-066-1
350 pages
22 euros
2025

Poursuivez l'aventure

Dans la fabrique

Faire attention aux détails, ne rien inventer, et ne pas ajouter du malheur au malheur.

Écrire sur l’affaire dite « des viols de Mazan », ce n’est pas écrire sur n’importe quelle affaire. Élise Costa revient sur les particularités de ce procès qui l’ont poussée à en faire un livre pas comme les autres.

Pouvez-vous contextualiser le cadre de ce procès qui – au-delà du caractère particulièrement perturbant des chefs d’inculpation – a eu la particularité de ne pas se tenir en huis clos ?

Sans citer in extenso les textes juridiques, le droit français prévoit que, dans le cas d’un procès pour viol, le huis clos est de droit si la victime le demande. Cela veut dire que dès lors qu’une victime souhaite que les portes de la salle soient fermées au public et aux journalistes pour juger son affaire, il n’y a pas de discussion : elle y a droit. C’est une exception au principe de la publicité des débats, puisque la justice est rendue au nom du peuple français.

Gisèle Pelicot connaissait cette exception, et tout le monde pensait que le huis clos serait demandé. Mais à l’ouverture du procès, ce n’est pas ce qui se passe : elle réclame au contraire que le procès soit public, elle estime que ce n’est pas à elle de se cacher. Bien sûr, cela a embarrassé une bonne partie des avocats de la défense, qui ont mis en garde contre l’effet « spectacle » de ce procès et l’atteinte à la dignité de leurs clients !

Là où l’on considère généralement que, dans les procès pour viols, le huis clos poursuit un « objectif d’intérêt général », dans le procès des viols de Mazan, c’est au contraire la publicité des débats qui est devenue d’intérêt général. Car dès que les portes se sont ouvertes, des dizaines et des dizaines de médias – nationaux et étrangers – sont arrivés à Avignon pour rendre compte du procès.

Dans ce texte, tu donnes à lire tes chroniques accompagnées des notes brutes, des réflexions ou même des dessins issus du carnet qui t’accompagnait pendant le procès. Il en ressort un nouvel aspect de ton travail : l’éthique narrative.

Je ne suis pas sûre de le ranger dans l’éthique. En revanche, c’est vrai, tous mes papiers sont mis en récit. Je ne vais pas réinventer la roue : c’est le meilleur moyen de raconter une histoire, quelle qu’elle soit (il existe plein d’études neuroscientifiques sur ce sujet !). Il y a un pacte entre l’auteur·rice et les lecteur·rice·s : l’auteur·rice va dessiner un chemin, c’est-à-dire une forme, une structure, un style, pour raconter les faits, et le/la lecteur·rice va l’emprunter, c’est-à-dire interpréter ses faits à sa manière. Sartre disait alors que « chacun fait confiance à l’autre, compte sur l’autre, exige de l’autre autant qu’il exige de lui-même ».

Mais raconter une affaire criminelle – et raconter le réel en général – implique une troisième entité : les personnes concernées. On parle de personnes qui ont une famille, des amis, un employeur, et qui ont vécu une tragédie. Il faut donc toujours garder en tête qu’un jour ils peuvent tomber sur votre article. Faire attention aux détails, ne rien inventer, et ne pas ajouter du malheur au malheur.

Quand vous nous avez parlé d’Écrire Mazan, vous avez mentionné Que faire de ce corps qui tombe de Jon D’Agata et Jim Fingal. Pouvez-vous nous dire en quoi ce livre vous a influencée ?

Je suis retombée sur ce livre dans ma bibliothèque, et le postulat de départ est assez inédit : un auteur (Jon D’Agata) écrit un long article pour The Believer où il raconte l’histoire d’un jeune garçon de 16 ans qui tombe du toit d’un hôtel à Las Vegas. Un fact-checker débutant (Jim Fingal) est chargé de recouper les informations. S’ensuit une discussion fleuve entre les deux journalistes sur le moindre fait.

Dans tous les projets, que ce soit refaire sa salle de bains ou partir en randonnée, il y a 90 % de travail invisible. Et ce que l’on va retenir, ce sont les 10 % qui se voient. Pour écrire, il faut aimer le processus plus que le produit final. Dans Les Nuits que l’on choisit, je raconte comment la question du pourquoi est primordiale : pourquoi on choisit d’écrire ? Ce nouveau livre, je le vois vraiment comme un cas pratique des Nuits que l’on choisit. Chaque journaliste qui a suivi l’affaire dite « des viols de Mazan » a choisi de la suivre et de la raconter à sa façon – et j’adore observer leur façon de travailler –, donc c’est un manuscrit qui est, de fait, très personnel.

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