Dans l’antre de l’ensorceleur
Kapka Kassabova se rend dans la boutique de Rocky l’ensorceleur, un acheteur en gros de plantes sauvages dans la vallée, également détenteur d’un savoir empirique sur les plantes médicinales qui poussent dans cette région.
« Tu suis ou quoi ? me demanda Rocky en me fixant de très près avec des yeux ronds. Pour devenir herboriste, il faut rencontrer les plantes pour de vrai, en personne. C’est là que réside le pouvoir. Les lectures et l’étude des planches de botanique ne sont pas suffisantes. On n’en retire aucun pouvoir. Bon, sinon, il y a une autre espèce très prisée qui s’appelle l’Echinacea purpurea. Ça te dit quelque chose ? »
Autrefois, Nafié en cultivait, mais elle avait cessé. Je n’avais essayé l’échinacée que sous forme de gouttes vendues en flacons marron à la pharmacie. Et voilà que j’avais sous les yeux des fleurs d’échinacées entières séchées.
« Quand je vois une plante séchée présentée en un tas, dis-je à Rocky, elle m’a l’air morte. Et puis, on apprend son histoire, on la voit s’épanouir dans l’eau et c’est comme un miracle. »
Nafié marqua une pause et m’enveloppa d’un sourire maternel.
« Tu as le sens de la formule », observa-t-elle.
Elle était trop occupée pour s’encombrer de mots.
« Tu as tout compris. Le règne végétal regorge d’éléments mystérieux, renchérit Rocky, tout sourire. Et il est infini. Car la nature est infinie. Et comme je le disais… Tu m’écoutes ? Il y a les plantes de printemps. Les plantes précoces, comme notre amie la primevère. Et l’iris, la fleur des amants, ramassée au tout début du printemps ou à l’automne. Le printemps, c’est une période chargée.
— La nature revient d’entre les morts », acquiesçai-je avec un hochement de tête avisé.
Il esquissa un sourire à demi édenté.
« La nature revient à elle après avoir fait la morte », rectifia-t-il.
L’automne aussi était une période chargée. Chardon-marie, cynorhodon, genévrier.
« Les baies de genévrier sont très recherchées, commenta-t-il. Tu sais ce qui marche le mieux pour faire de beaux rêves ?
— La lavande, répondis-je, étalant ma science.
— La lavande, c’est excellent, approuva-t-il. Mais mieux encore : un petit sachet de baies de genévrier sous ton oreiller. Le genièvre est une plante miraculeuse. »
N’en aurait-il pas un petit sachet à me vendre ?
« Un petit sachet ? Non. Mais j’ai cinq cents kilos de genévrier dans mon entrepôt. Je déteste tomber en rade. »
En Écosse, autrefois, on récoltait le genévrier en grandes quantités et quand arrivait le mois d’août, on l’exportait via les ports d’Aberdeen et d’Inverness jusqu’aux Pays-Bas, où il servait à la fabrication du gin. Il était plébiscité dans les foyers des Highlands et sur les îles, où on l’ajoutait à du whisky chaud pour soigner presque tout : l’épilepsie, les morsures de serpent, ou comme désinfectant général. La version première du fameux hot toddy ! Rocky voyait d’un bon œil l’usage que les Écossais faisaient de cette plante, mais peinait à comprendre pourquoi ils avaient cessé d’y avoir recours, pourquoi nous ne cueillions plus de genévrier alors qu’il poussait toujours chez nous.
« Le genévrier, c’est bien en cas de surdosage d’une plante stimulante, ajouta Rocky.
— Le mursalski, par exemple ? risquai-je.
— Ah, le mursalski, le thé des montagnes ou thé des bergers ! Le plus pur d’entre tous. Celui qui pousse le plus haut. Le plus noble. Autrefois exclusivement consommé par les élites, les prêtres et autres dignitaires du même acabit. Tu bois quelle quantité de mursalski, toi ? C’est trop. Il ne faut pas en consommer plus de deux semaines d’affilée, c’est trop fort. Idéal pour le cœur, et quasiment tout le reste. Mais il faut faire une pause et prendre de la lavande et du genévrier dans l’intervalle. »
J’étais, je crois, accro au mursalski, qui vous rend invincible. Je crois que je le suis toujours. Qui n’a pas envie d’être invincible ?