EXTRAIT : Dans la gueule du lion
Après avoir travaillé avec des poneys, des lévriers et des loups, Armand Gatti approche les lions et nous explique pas à pas sa méthode pour placer sa tête dans la gueule du fauve.
N’avez-vous jamais mis votre tête dans la gueule d’un lion ? C’est un raffinement olfactif peut-être discutable, mais si vous manquez d’assurance dans la vie, faites-le. Après cela, vous en aurez… C’est un remède idéal pour les déprimés, les angoissés, les psychasténiques.
Bien entendu, il n’est pas question de pratiquer la chose avec n’importe quel lion. Un fauve qui travaille habituellement en férocité n’est pas recommandable en l’occurrence. Si vous réussissez à lui ouvrir les mâchoires pour y introduire votre tête, il la tranchera. Il faut une bête habituée aux évolutions en douceur. Une amitié sans ombrage entre elle et vous garantira mieux qu’un contrat d’assurance l’intégrité de votre cou.
Vous l’abordez donc avec une cantilène (il vaut mieux que ce soit toujours la même) : « Mig ! Bravo ! Ho ! Ho ! Bravo ! Abou ! Ahou ! Mig !» Vous lui ouvrez les mâchoires. Elle voudra les refermer presque spontanément À ce moment, vous lui poussez le côté pendant de la lèvre en arrière des crocs. Le lion sent qu’il se mord. Il ne sera pas content. Il ouvrira davantage sa gueule. Recommencez plusieurs fois : il finira par comprendre ce que vous désirez. Lorsque vous verrez qu’il tient la gueule grande ouverte pendant un laps de temps suffisant, vous pouvez y aller. Même si vous tremblez de peur, introduisez votre tête avec calme. Ne crispez pas vos doigts sur les mâchoires. En revanche, ne cherchez pas à flâner pour vous donner une contenance. À l’intérieur, tout est obscur. N’attendez pas d’y voir clair. Si vous êtes submergé par un grognement, ne songez pas à prononcer un acte de contrition parfaite. C’est peut-être une marque d’amitié. Dans tous les cas, il vaut mieux un grognement qu’un coup de dent. Retirez-vous. Soyez poli avec le lion : dites-lui quelques mots d’amitié. Flattez-le sur le museau. L’opération est terminée.
Roland Bouglione, l’héritier de Firmin, n’est pas de mon avis en ce qui concerne le repli des lèvres en arrière des crocs. Il trouve le détail un peu byzantin et parfaitement inutile. Il préfère y aller franchement et m’a d’ailleurs fait sa démonstration dans une cage des Pavillons-sous-Bois. Je pense que ma façon de procéder, sur le plan de l’amateur, est quand même valable, puisqu’elle n’a lésé ni la bête ni mon cou.