Dans l’antre de la contrefaçon
Approchez à pas feutrés pour ne pas le déconcentrer et observez le faussaire en action.
Il croyait s’être concentré suffisamment. Mais au moment de s’attaquer à la courbe du m, il sentit un bref tremblement, comme le lointain grondement d’un séisme. Le spasme partit des tréfonds de son cortex cérébral pour se répandre le long de ses terminaisons nerveuses, gagnant son bras, sa main et enfin ses doigts. Cela ne dura qu’un millième de seconde, mais juste assez pour provoquer une contraction musculaire, comme un élastique qui se tend. Au point culminant de la première jambe du m, juste avant de redescendre vers la ligne, il sentit sa main trembler.
Il reposa son crayon et se concentra sur son rythme cardiaque. Il ralentit son souffle et se mit à inspirer et à expirer par intervalles de sept secondes. Il imagina la chaleur qui circulait à l’intérieur de son corps tel un courant océanique et la projeta par la pensée jusqu’à l’extrémité de ses doigts. Le monde réduit à l’état de point entre les deux yeux, il se saisit d’une nouvelle feuille et commença à visualiser la forme des lettres sur le papier jusqu’à ce qu’elles apparaissent aussi clairement qu’une image projetée sur un écran.
Il avait passé des jours à s’entraîner : le h qui basculait vers l’avant comme une chaise cassée, le jambage du y qui courait parallèlement à la ligne et ce t si caractéristique, semblable à un x retourné. Lorsqu’il se sentit enfin prêt, il commença à écrire. Cette fois, le geste était limpide, sans la moindre hésitation, et les lettres jaillirent de son inconscient en un flot ininterrompu. À croire que la poétesse guidait sa main de l’intérieur. Au moment de signer de son prénom à elle, il ressentit un pouvoir vertigineux.
Il se leva et s’étira. Sa montre indiquait 3 heures du matin. Là-haut, à l’étage, il entendit le bébé pleurer et sa femme se lever. Dans la pénombre de son atelier, il alla récupérer un sac plastique caché sur une étagère, derrière des plaques de gravure. Il en sortit un long tube de métal galvanisé, fit des trous dans l’épaisseur du bouchon, enfila deux fils électriques à l’intérieur et y fixa un détonateur artisanal. Il remplit ensuite le tuyau de poudre à canon et replaça le bouchon. Le lendemain matin, il se rendrait dans la Skull Valley pour tester son explosif. Il sortit les deux blocs de piles qu’il avait achetés quelques jours auparavant chez Radio Shack et débrancha une rallonge de l’une des prises électriques du sous-sol. Il inséra le tout dans une boîte en carton, qu’il posa à côté du poème. Ce n’était pas un chef-d’œuvre, se dit-il, mais ça ferait bien l’affaire.