Se singulariser
À rebours du tourisme de masse au Louvre, au MOMA ou au musée du Vatican, A. Kendra Greene vous emmène dans le secret du détail, au cœur de l’insolite. Découvrez, les cabinets de curiosité islandais !
Le premier Islandais que j’ai connu s’appelait Garðar. C’était un grand blond qui travaillait avec ma sœur dans un laboratoire de recherche en Californie. Il était venu l’aider à installer les placards de sa nouvelle cuisine et, pendant qu’on était assis par terre à étudier les plans de montage, je lui avais avoué ne presque rien savoir de son pays. Que pouvait-il me raconter de l’Islande ?
Il aurait pu me répondre que son île natale frôlait le cercle arctique, que sa population s’élevait à 330 000 âmes, que son taux d’alphabétisation était le plus élevé au monde, ou encore qu’elle s’était dotée d’une agence gouvernementale consacrée à l’islandisation des mots étrangers — comme les téléphones portables, baptisés d’après le nom ancien pour dire « jeune mouton » parce que leur vibration ressemblait à un bêlement. Il aurait pu me parler avec fierté de la chanteuse Björk, du groupe Sigur Rós et en rester là. Il aurait peut-être pu aussi me conter l’histoire de son homonyme, le Viking suédois Garðar Svavarsson, et m’apprendre qu’il avait jadis donné son nom à l’Islande. Non : il ne m’avait pas dit un mot des temps anciens où son pays s’appelait Garðarshólmi. Il n’avait rien évoqué de tout cela. Du tac au tac, sans autre forme de préambule, il m’avait répondu :
« On a un musée du pénis.
– Ah bon ?
– Le seul et unique au monde. »
J’ai une passion pour les superlatifs en demi-teinte. Le « meilleur », le « premier » ou le « plus ancien », on connaît ça par cœur, mais « le plus vieux marchand de glace toujours en activité au monde », par exemple, « la plus grande collection de pochettes d’allumettes en Europe », ou « le deuxième musée le plus ancien à l’ouest du Mississippi »! Ces revendications ne sont-elles pas encore plus charmantes de forfanterie tempérée, de singulière spécificité ? En même temps, leur précision comporte une part d’insaisissable puisque l’origine de ces calculs nous est dissimulée. Faut-il y voir une forme d’humilité, consciente des limites de toute recherche, aussi scrupuleuse soit-elle, parce qu’on ne peut pas tout connaître de ce qui existe sur cette planète et que l’honneur nous dicte de ne pas nous vanter au-delà de ce que nous sommes en mesure de prouver ? Ou bien ces gens savent-ils que la plus grande collection de pochettes au monde se trouve en Uruguay, mais préfèrent-ils garder le mystère ?
Au mieux, ces titres apparaissent comme des appellations de niche, réduites à la plus petite catégorie possible pour éliminer toute compétition — victoire par élimination ! Succès à l’usure ! Pourtant, quel triomphe dans ces proclamations, comme si c’était une distinction sans pareil que de s’autodécerner la titre de presque-deuxième-meilleur-ex aequo sur un podium.
Selon ses propres estimations, « Le Musée Phallologique Islandais est sans doute le seul musée au monde à réunir une collection de spécimens phalliques représentant toutes les espèces de mammifères présentes dans un même pays ».