UN ÉTAT À LA MARGE
Marine Dumeurger revient sur les motivations qui l’ont poussée à s’intéresser à la Kalmoukie et à la trajectoire singulière de Serge.
« Il voulait faire de la Kalmoukie la capitale mondiale des échecs. »
Comment as-tu entendu parler de la Kalmoukie la première fois ?
C’était en 2010, grâce au photographe russe avec qui je travaillais. Je m’étais installée à Moscou comme journaliste indépendante, où je suis restée pendant deux ans. Ensemble, nous cherchions des sujets à proposer à la presse française. En Russie, je m’intéresse particulièrement aux régions, je cherche à m’éloigner de la capitale, où les sujets traités sont souvent purement politiques. Avec l’envie de voir comment les gens vivent en Sibérie, dans le Caucase, parfois dans des conditions extrêmes. À ce moment-là, mon collègue revenait tout juste d’un reportage en Kalmoukie. Il m’a appris l’existence de cette région du sud-ouest de la Russie. Comme la plupart des Russes, je n’en avais jamais entendu parler. Malheureusement, nous n’avons pas pu y aller à cette époque. Mais l’idée et l’envie sont restées.
Qu’est-ce qui a piqué ta curiosité pour cette petite république en marge de la Russie ?
Tout un tas de choses, car c’est un endroit singulier. Déjà, la plupart de ses habitants sont bouddhistes. Il existe d’autres région bouddhistes en Russie, mais elles sont toutes à l’est, au contraire de la Kalmoukie située côté européen, pas si loin de l’Ukraine d’ailleurs. Ensuite, visuellement, c’est une des régions les plus pauvres de Russie. L’architecture soviétique y côtoie des temples bouddhistes au beau milieu de la steppe. Son histoire est particulière aussi : peuplée de nomades mongols, la Kalmoukie a fait les frais des violences du XXe siècle, entre répressions, collaborations et déportations. Et puis, récemment, il y a eu Kirsan Ilioumjinov, son ancien dirigeant. Durant ses dix-sept années au pouvoir, il a défrayé la chronique. Il voulait faire de la Kalmoukie la capitale mondiale des échecs. Il avait des projets fous qu’il finançait grâce à l’argent public. Il aimait raconter s’être fait enlever par des extraterrestres. Aujourd’hui, c’est un ancien champion de kick-boxing qui gouverne.
Peux-tu nous présenter en quelques mots le parcours singulier de Serge ?
Serge est un descendant de Russes blancs, c’est-à-dire qu’il descend de plusieurs familles aristocratiques qui ont fui la Russie au moment de la révolution de 1917 : d’une part, celle prestigieuse du poète Alexandre Pouchkine via son père ; d’autre part, une lignée d’anciens princes kalmouks via sa mère. Il menait une vie ordinaire dans le sud-ouest de la France jusqu’à ce qu’en 2018 le gouvernement kalmouk l’invite à venir visiter la Kalmoukie. Là-bas, il a été accueilli comme un prince, avec tant d’honneurs qu’il a décidé de s’y installer. Normalement, les expatriés vivent dans les grandes villes, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, ce qui n’est pas son cas. Il loue une maison avec son père et son chien dans le quartier des Échecs (Chess City), bâti par Kirsan Ilioumjinov. Depuis, il cherche à obtenir son passeport russe, mais la situation s’est bien compliquée depuis la guerre en Ukraine et l’administration lui en fait voir de toutes les couleurs.