Une enquête qui vire à l’obsession
Kirk Wallace Johnson revient sur les raisons qui l’ont poussé à s’intéresser à ce fait divers jusqu’à s’improviser enquêteur pour retrouver les plumes d’un casse considéré par les biologistes comme un vol catastrophique du patrimoine de l’humanité.
Pourriez-vous nous dire ce qui vous a décidé à écrire l’histoire de ce larcin ?
J’ai entendu parler de cette histoire pour la première fois à un moment de ma vie où je me sentais piégé. J’avais passé la plus grande partie de la décennie à me battre contre le gouvernement américain au nom de dizaines de milliers d’Irakiens devenus des réfugiés simplement parce qu’ils avaient travaillé pour nous durant la guerre, et qui, de ce fait, se voyaient à présent considérés comme des traîtres. J’ai aidé quantité de réfugiés à trouver le chemin de l’Amérique et de la sécurité, mais il était clair pour moi que je ne réussirais pas à les sauver tous et je commençais à me sentir épuisé. Je me suis mis à la pêche à la mouche pour ne pas perdre la raison et, un jour, je me suis retrouvé dans une rivière du Nouveau-Mexique avec un guide qui s’est mis à me parler de cet étrange vol dans un musée. Tout ça était tellement bizarre et tellement différent de tout ce que je faisais à ce moment précis de mon existence que cette histoire est devenue pour moi une sorte d’évasion.
Le Voleur de plumes traite d’une obsession, celle d’Edwin Rist, mais aussi de la vôtre. Quand avez-vous commencé à être obsédé par cette affaire et quelle est la motivation profonde qui vous a poussé à chercher les plumes dérobées ?
Au début, cela ne me semblait pas valoir plus qu’un article dans un magazine. Je pensais qu’aucune personne impliquée dans l’affaire ne serait disposée à me parler, et je ne croyais pas possible de retrouver les oiseaux disparus. Ce n’est que lorsque j’ai pris conscience de l’importance historique et scientifique de ces spécimens, des efforts extraordinaires que certains naturalistes comme Alfred Russel Wallace avaient déployés pour les rassembler, des actes héroïques des générations de conservateurs de musée qui les avaient protégés des insectes, des vols, des zeppelins allemands pendant la Première Guerre mondiale et de la Luftwaffe de Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale, et des nombreuses façons inattendues dont ces oiseaux nous révèlent des informations sur notre planète, que j’ai réalisé que ce n’était pas seulement un livre, mais une tragédie qui exigeait une sorte de mise en lumière. Le voleur de plumes n’avait jamais passé une seule nuit derrière les barreaux, un nombre important d’oiseaux n’avaient jamais été retrouvés et la communauté des fabricants de mouches s’autorisait des blagues sur ce que le directeur du British Natural History Museum a décrit comme un « vol catastrophique du patrimoine de l’humanité ». Dès que je me suis lancé, je me suis rendu compte que plus personne ne cherchait ces oiseaux. Je ne me faisais aucune illusion, mais je sentais que quelqu’un devait découvrir la vérité ; alors, pourquoi pas quelqu’un qui n’avait pas la moindre expérience dans le journalisme d’investigation et qui ne connaissait rien aux oiseaux ou à la fabrication des mouches ?
Comment avez-vous mené votre enquête ?
L’enquête a duré plus de cinq ans. Au début, je ne l’ai pas menée à plein-temps, étant encore très impliqué dans mon travail avec les réfugiés, mais j’ai vite éprouvé la pulsion obsessionnelle de coucher sur le papier tout ce que je découvrais, car il m’est apparu que la communauté des fabricants de mouches essayait de supprimer toutes les traces du crime qui avait été commis. J’ai donc tout misé sur mon intuition : j’ai dessiné la carte de ce que j’ai appelé par jeu le « réseau secret des plumes » et, pendant plusieurs années, j’ai soigneusement noté les différentes périodes où ses membres se chamaillaient sur les forums. Lorsque je réussissais à convaincre l’un d’eux de me parler, je citais le nom d’un autre, et il commençait à me raconter leurs histoires. Au centre de cette carte, il y avait un seul homme : Edwin Rist.