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Les Nuits que l’on choisit

Chroniques judiciaires en France

Les Nuits que l'on choisit
Un homme n’est pas condamné à vingt ans de réclusion criminelle avec si peu d’éléments. Ce n’est pas censé se passer comme ça.

Tous les chroniqueurs judiciaires se sont déjà vu poser cette question : « Comment fais-tu pour dormir la nuit ? » Ce livre est une réponse. Quand la journaliste Élise Costa décide d’écrire sur le crime, son quotidien en est bouleversé. Sillonnant les palais de justice à travers la France, elle suit les affaires criminelles les plus médiatiques – la joggeuse de Bouloc, Troadec, Nordahl Lelandais – et celles qui font couler moins d’encre. Pour s’approcher à son tour de la vérité, elle s’attarde sur les détails et explore les rouages d’une justice aussi implacable que fascinante. Mais alors, avec la nuit vient le doute.

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Les Nuits que l'on choisit

Élise Costa tient depuis 2017 la chronique judiciaire au long cours du magazine en ligne Slate.fr. Elle est l’autrice des podcasts Fenêtre sur cour (ARTE Radio) et Le Système (Slate.fr).

INFOS TECHNIQUES

Littérature française
Faits divers
978-2-38134-039-5
216 pages
20 euros
2023

Écrire le crime

À la fin de chaque audience, le travail d’Élise Costa commence – il faut relire ses notes, s’atteler à l’écriture de sa chronique : qu’a-t-elle envie de raconter cette fois ? Puis la nuit tombe, et avec elle surgissent les souvenirs de la parole d’un témoin, de l’accusé ou de la victime.

29 mars 2019 – 14 h 15

«M. Dejean, après en avoir délibéré, la cour vous déclare coupable des faits qui vous sont reprochés.»

Dans les toilettes du palais de justice, une goutte de sang tombe dans le lavabo. Un instant, elle s’agrippe à la céramique blanche, puis glisse vers le siphon. Je relève la tête face au miroir. Un mince filet de sang coule de ma narine. Entre petites contrariétés et maladresses, cela m’arrivait enfant. Le distributeur de papier ne fonctionne pas. J’ouvre le robinet d’eau, m’essuie à toute hâte d’un revers de main et sors. Assise sur un des bancs en béton du tribunal, je regarde dans le vide. Chaque salle des pas perdus est unique en son genre, mais toutes ont le même mouvement. À la manière des halls de gare, il y a toujours, peu importe l’heure, quelqu’un qui, poussé par le vent de dehors, arpente les couloirs à la recherche de sa voie. Je ne sais combien de temps je reste ainsi sans bouger. De temps à autre, mon corps me rappelle mon immobilité et je dois prendre une longue inspiration. La respiration qui se coupe, sans raison et à intervalles réguliers, est un phénomène qui a surgi à l’âge adulte.

Derrière les grandes baies vitrées, le soleil descend. Cette façon de rester là à attendre m’insupporte. Le procès est fini. Je devrais rentrer chez moi et écrire. Ce n’est qu’un travail, pas vrai ? Mais on ne sait jamais quand ce travail se termine vraiment. Il peut encore arriver quelque chose. Je sais pourtant tout de la stupeur, du déni et autres pensées irrationnelles qui peuvent traverser une personne dans une cour d’assises. Je les ai vus de mes propres yeux. Je les ai retranscrits dans des articles de la longueur des fleuves. Et pourtant, je pense : ils vont tous revenir. Un homme n’est pas condamné à vingt ans de réclusion criminelle avec si peu d’éléments. Ce n’est pas censé se passer comme ça. Ils doivent revenir. Les magistrats, les gendarmes et les jurés. L’huissière d’audience remettra à la hâte sa robe. Les jurés aux traits tirés reprendront place dans leur siège en velours gris. Le président de la cour d’assises, accompagné de ses deux assesseurs, demandera à l’accusé de se lever, tandis que les policiers de l’escorte se mettront debout à leur tour pour l’encadrer. Alors, les jurés expliqueront qu’ils se sont trompés. Ils diront leur empathie pour les parties civiles, leur volonté de les aider à trouver enfin la paix, peu importent le coupable et le désir d’en finir au plus vite. Deux semaines de procès d’assises, c’est long, pour ne pas dire interminable.

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