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Quarante jours dans la jungle

Traduit de l’anglais par Charles Bonnot
La survie de quatre enfants dans un milieu hostile, des recherches sous tension et le destin bouleversant d’une famille révélateur des luttes des peuples indigènes en Colombie

Lesly, 13 ans, et ses trois frères et sœurs sont les seuls survivants d’un crash d’avion en pleine jungle. La forêt est dense, le climat humide, il n’y a aucune habitation à des dizaines de kilomètres à la ronde. Les quatre enfants du peuple Uitoto vont devoir puiser dans leur connaissance de la jungle pour survivre. Parallèlement, des équipes de recherche se mobilisent. Pourtant, les jours passent et les hommes rentrent chaque soir bredouilles. Les rumeurs les plus folles commencent à circuler : les enfants ont-ils été enlevés par un groupe rebelle ? Un esprit de la forêt leur a-t-il jeté un sort ? Tous devront surmonter leurs préjugés et différends pour retrouver les enfants, quarante jours plus tard, en vie.

Mat Youkee ne se contente pas de raconter cette incroyable histoire de survie et de quête, il met aussi en lumière le contexte social et politique des peuples indigènes en Colombie, leur savoir ancestral et leur combat pour survivre.

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« Depuis le milieu du fleuve, la jungle formait une fine frange verte, les troncs des arbres les plus proches, illuminés par le soleil levant, éclataient de blancheur. Au-delà régnait l’obscurité. »
Mat Youkee

Mat Youkee est un journaliste d’investigation britannique basé en Colombie depuis plus de dix ans. Il collabore régulièrement à des journaux de renommée internationale tels que The Guardian, The Economistou The Financial Times. Quarante jours dans la jungle est son premier livre.

INFOS TECHNIQUES

Littérature étrangère
Reportage
978-2-38134-060-9
350 pages
22 euros
2025

Extrait : Une histoire devenue symbole

Quand les enfants sont retrouvés sains et saufs, la Colombie est en liesse. Mat Youkee qui a suivi toute l’affaire décide d’aller plus loin en racontant l’histoire derrière le drame, une façon de mettre en lumière les luttes des peuples autochtones ainsi que leur savoir ancien.

Le 9 juin 2023, en fin d’après-midi, une salve de klaxons s’est élevée des voitures coincées dans les rues embouteillées de Bogota. Cette célébration qui accompagne traditionnellement les buts de la sélection de foot colombienne avait été provoquée par un flash spécial diffusé à la radio. Quarante jours après la disparition de leur avion au-dessus de la jungle qui recouvre le sud du pays, quatre enfants indigènes venaient d’être retrouvés vivants par les équipes de secours.

C’était un moment de catharsis inattendu. L’appareil, un Cessna HK-2803, avait été découvert trois semaines plus tôt, le nez vers le sol et la queue relevée, aussi vertical que les arbres imposants qui l’entouraient. Les corps des trois adultes qui se trouvaient à bord avaient été identifiés, mais il n’y avait aucune trace des enfants. Chaque soir, les Colombiens écoutaient les informations pour suivre l’avancée des vastes opérations de recherche. Ils découvraient un casting digne d’une telenovela : pères angoissés et grands-mères télépathes, commandos déconcertés et chamans desséchés, esprits de la jungle perfides et un héroïque chien de berger belge baptisé Wilson. Cependant, à la fin du mois de mai puis au début du mois de juin, la perspective de retrouver les enfants vivants avait pratiquement disparu et beaucoup de Colombiens avaient cessé d’espérer un dénouement heureux.

Je partageais leur pessimisme. Après une décennie de journalisme en Colombie, j’en étais venu à me méfier des bonnes nouvelles. Bien trop souvent, ce pays d’environ cinquante millions d’habitants avait vu des succès inespérés ou des victoires durement acquises sombrer dans la tragédie ou la farce. Les booms économiques étaient rapidement éteints par une crise financière. Les dirigeants politiques populaires et charismatiques tombaient presque invariablement pour des faits de corruption. Les formations paramilitaires ou les guérillas se rendaient, bientôt remplacées par de nouveaux groupes armés. C’étaient invariablement les populations rurales – notamment les 87 groupes indigènes – qui semblaient subir les conséquences les plus lourdes d’une telle infortune.

Quand la nouvelle du sauvetage des enfants a été partagée sur X (anciennement Twitter), celle-ci m’a rempli de joie. Cinq minutes plus tard, j’avais déjà envoyé un mail à mon rédacteur en chef au Guardian pour lui demander de faire un papier sur le sujet, puis, dans les jours qui ont suivi, j’ai rédigé plusieurs autres articles à partir des informations que je pouvais glaner afin de satisfaire l’immense intérêt qu’avait suscité dans le monde entier l’histoire de ces enfants. On m’a invité à faire part de mes impressions dans des talk-shows britanniques et des émissions de radio australiennes et ma boîte mail a bientôt débordé de messages de documentaristes me demandant de les aider à contacter les enfants et leur famille. C’était le plus gros sujet de l’année en Colombie.

Pourtant, alors même que l’intérêt mondial pour cette histoire atteignait son paroxysme, elle a été recouverte d’un voile de silence. Après avoir passé un mois à l’hôpital, les enfants ont rejoint les services la protection de l’enfance et ils sont toujours pris en charge par ceux-ci à l’heure où j’écris ces lignes. Un an après les faits, Lesly, l’aînée, a fait une brève déposition auprès des enquêteurs qui cherchaient à déterminer la cause de l’accident et a raconté les semaines passées dans la jungle. La seule autre source d’information étaient les membres de la famille qui avaient pu rendre visite aux enfants et les équipes de recherche. Leurs versions étaient vagues et souvent contradictoires. Beaucoup de questions demeuraient sans réponse.

Avant de devenir une histoire de survivants, le destin du HK-2803 et de ses passagers avait tous les atours du parfait mystère. Quand les noms des enfants présents à bord avaient été diffusés, mélangés et mal orthographiés, par l’autorité colombienne de l’aviation civile, l’identité de la famille et les raisons du voyage avaient fait l’objet d’une légère curiosité. À la suite du sauvetage, les questions se sont multipliées. Qui était cette famille ? Que faisaient-ils dans cet avion ? Pourquoi l’équipe de recherche avait-elle mis tant de temps à les retrouver ? Comment avaient-ils survécu ?

Je me suis lancé dans la rédaction de ce livre afin de trouver des réponses. À la fin de l’année 2023 et au début de 2024, je me suis rendu plusieurs fois en Amazonie colombienne pour parler aux amis et aux familles des passagers, ainsi qu’aux militaires et aux volontaires indigènes qui avaient participé aux recherches. Ça n’a pas toujours été simple. L’atmosphère de peur qui régnait sur les rives du Caquetá rendait les témoins réticents à s’exprimer, et certains ont demandé que leur nom ne soit pas cité. Leurs histoires étaient bien souvent tragiques. Il était question de conflits familiaux, de trahisons, d’accusations, de menaces. Mais lors de ces conversations, on me demandait – ou on m’ordonnait – de raconter la véritable histoire, le contexte historique et politique plus profond qui avait décidé du destin du HK-2803 et de ses passagers.

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