De l’art de la musette de combat
Après avoir passé plusieurs semaines au sein du camp de la Légion où il met Radio Surobi sur pied avec des volontaires afghans, Raphaël Krafft obtient enfin l’autorisation d’accompagner un convoi en dehors de l’enceinte. La veille de son départ, le capitaine Negroni lui confectionne sa musette.
Negroni avait finalement cédé à ma demande répétée de pouvoir sortir du camp. Outre l’évidente question de ma sécurité – le chef de corps ne voulait surtout pas avoir la mort d’un touriste de mon acabit sur la conscience –, ils attendaient peut-être de mieux me connaître avant de m’embarquer dans une aventure où des gens se tirent dessus, et parfois meurent. La veille, en prévision de ce voyage, Negroni s’était occupé de préparer ma musette de combat qu’il me prêtait pour cette sortie, un sac de marque américaine aux normes de l’Otan qui ne fait pas partie, pour l’heure, du paquetage réglementaire. J’entrai pour la première fois dans sa chambre, la plus spacieuse et peut-être la plus confortable de tout le camp. En bon légionnaire, ce « vieux chacal de brousse » n’avait pas son pareil pour améliorer son ordinaire.
« Je vais vous expliquer comment confectionner votre musette, me dit-il en s’emparant du sac. C’est très important, parce que quand vous partez en opération, c’est votre assurance-vie, Krafft. C’est une musette de type américain. Regardez, il y a plusieurs compartiments. Première chose, rations de sécurité, au fond de la musette. Avec ça, vous avez vingt-quatre heures de bouffe. Deuxième chose, deux bidons d’eau. Remplissez-les avec de l’eau minérale, tenez, il y en a là sur l’étagère. Par-dessus, votre sac de couchage. Passez-moi votre sac de couchage.
– Tenez.
– Il est beaucoup trop gros !
– Mais il est très chaud.
– Regardez, il ne rentre même pas dans la musette. Vous avez là un duvet de civil, un duvet de frileux. Regardez le mien, ça, c’est un duvet de soldat ! Vous vous gelez les couilles avec, mais comme ça, vous êtes toujours aux aguets. Et en plus, il rentre dans le sac ! Vous avez votre trousse de santé ? Vous savez, la trousse noire ?
– Oui.
– Alors, donnez-la-moi, vous la mettez ici dans une des poches latérales, là où il y a la petite croix inscrite au marqueur. Vous enlevez de la trousse de santé votre pansement individuel et le garrot que je rangerai sur votre frag. Et de l’autre côté, vous mettez vos munitions de rab ainsi que la trousse d’entretien de votre fusil. Votre quart ? Passez-le-moi. Vous le mettez ici. Et ici, votre trousse de toilette. Vous vous moquez de moi ? Elle est rouge, vous devriez la prendre rose fluo tant que vous y êtes. C’est vraiment une musette de civil que vous avez là. Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour écoper d’un type comme vous ? Votre vêtement de pluie, où est-il ?
– Je l’ai oublié. Il fallait le prendre ? Il ne pleut jamais ici.
– C’est mieux de l’avoir quand même. Tenez, je vous prête ma housse Gore-Tex, vous vous mettrez dedans s’il pleut avant de vous glisser dans votre sac de couchage. C’est bon, maintenant vous pouvez poser votre casque sur la musette et on passe à la frag. »
L’objet en question pèse une bonne dizaine de kilos à vide.
« Là, vous avez quatre chargeurs accrochés à la frag, indique Negroni. Ça devrait suffire.
– Vous croyez ?
– Alors là, si vous, vous êtes obligé de vous servir de quatre chargeurs, c’est qu’on sera vraiment dans la merde. Ici, votre PA, mais comme vous n’en avez pas reçu en arrivant, je vous prête le mien avec deux chargeurs de neuf cartouches. Vous avez une lampe de poche ?
– Oui.
– Mettez-la là. Tenez, je vais quand même vous donner deux chargeurs en plus, on ne sait jamais.
– Vous venez de me dire que quatre chargeurs suffiraient.
– Moulez-la, Krafft, et prenez ces deux chargeurs en plus, je vous les prête de bon cœur. Tenez, voici aussi des cyalums, ce sont des bâtons éclairants, on les casse et ça s’allume, ça dure huit heures. Comme ça, si vous vous retrouvez isolé, vous verrez clair. Vos galons de capitaine, vous les collez sur la frag, comme ça tout le monde sait à qui il a affaire. Enfin, vous voyez ce que je veux dire… Et n’oubliez pas de me rapporter mes affaires quand vous serez rentré d’opération, après les avoir nettoyées, bien sûr. Est-ce que c’est clair ?
– Oui, mon capitaine. Des recommandations ?
– Faites gaffe parce que, dans la zone où vous allez, il y a toujours des accrochages. Soyez prudent. »