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Tokyo Detective

Enquêtes, crimes et rédemption au pays du Soleil-Levant

Traduit de l'anglais par Doug Headline
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Les journalistes aussi reviennent sur les lieux du crime.

Après avoir fait tomber un des plus grands parrains de la mafia japonaise, l’ancien journaliste d’investigation Jake Adelstein s’est reconverti en détective privé, traquant les yakuzas devenus hommes d’affaires. Mais lorsqu’en 2011 la catastrophe de Fukushima s’abat sur le Japon, elle vient ébranler ses convictions les plus profondes : le mal est tombé là où il ne s’attendait pas et touche ses amis les plus proches. Le justicier est assailli de doutes : la vérité doit-elle être recherchée à tout prix ?

Après le succès international de Tokyo Vice, Jake Adelstein poursuit son exploration des bas-fonds de la société japonaise. Si la corruption s’est déplacée, elle est toujours bien présente, et Jake Adelstein va devoir décupler ses forces et faire montre d’ingéniosité pour la combattre et la révéler au grand jour.

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Jake Adelstein est né aux États-Unis en 1969. Il a été le premier journaliste étranger à intégrer la rédaction du plus grand quotidien japonais, le Yomiuri Shinbun, en 1993. Il vit depuis trente ans à Tokyo. Il est l’auteur de Tokyo Vice, du Dernier des yakuzas et de J’ai vendu mon âme en bitcoins.

INFOS TECHNIQUES

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
FAIS DIVERS
978-2-38134-019-7
400 pages
23 euros
2023

CHAQUE VICTOIRE EST UN ENTERREMENT

« Igari faisait partie d’une espèce rare, ceux qui choisissent l’honneur plutôt que l’argent. »

28 octobre 2008

Parfois, quand on a réussi à triompher de ses ennemis, on a tout simplement envie de faire la fête. J’avais choisi le Westin Hotel de Tokyo pour y retrouver mon mentor, l’ancien procureur Toshiro Igari, autour d’un verre ou deux. Nous étions réunis pour célébrer la déroute de notre ennemi commun, Tadamasa Goto, qui venait de se faire éjecter du Yamaguchi- gumi le 14 de ce même mois. Goto, c’était le Richard Branson des yakuzas : charismatique, d’une richesse indécente, autrefois actionnaire principal de Japan Airlines, une tripotée de politiciens dans sa poche et un millier de personnes dans son organisation. Le Yamaguchi-gumi, basé à Kobe, était à ce moment-là le plus important de tous les gangs de Tokyo, avec près de 80 000 membres et un pied dans toutes les  industries existantes de la société japonaise. Quand Goto s’en était retrouvé chassé, tout comme une dizaine d’autres chefs de haut rang proches de lui, la nouvelle avait fait la une des journaux. Ça avait déclenché une vraie crise dans le monde du crime organisé, l’équivalent pour les yakuzas de l’onde de choc Lehman Brothers : le « choc Goto ». La rumeur disait que Goto avait fomenté un coup d’État pour s’emparer de l’organisation, et cela expliquait en partie son expulsion. Trahir l’organisation pour obtenir sa greffe du foie fut le dernier clou qu’il planta dans son cercueil.

J’avais écrit un article sur le sujet dans le Washington Post en mai 2008 et en avais publié un autre sous pseudo pour The Los Angeles Times. Dans un monde idéal, j’en aurais aussi écrit un pour le Yomimuri Shinbun, le quotidien japonais où j’ai commencé ma carrière de journaliste en 1993, mais je doute qu’ils aient eu le cran de le publier. Goto était un sacré sociopathe avec un fort penchant pour la violence et s’en prenait à ses détracteurs quels qu’ils soient. Mes articles révélaient les termes de l’accord passé par Goto avec le FBI pour obtenir son visa d’entrée aux États-Unis et un foie tout neuf : il avait dénoncé tous ses amis du Yamaguchi-gumi et fourni des informations précieuses aux autorités. Par la suite, il avait mis un contrat sur ma tête, et ma famille et moi avions été placés sous protection policière. D’ailleurs, je l’étais encore.

J’arrivai en avance et attendis un moment dans le lobby. Je reconnus Igari avant même d’avoir vu son visage, parce qu’il avait une présence particulière et l’allure d’un chef yakuza, avec son costume noir. Il y avait quelque chose dans ses expressions et même dans toute son attitude qui me faisait penser à un bouledogue, oui, à un bouledogue vraiment très malin. Du coin de l’œil, je le regardai approcher tout en parcourant les journaux à sensation. Il me repéra très vite et nous nous dirigeâmes vers le restaurant pour y manger un morceau. Il portait un costume sombre bien coupé, une chemise blanche, pas de cravate. J’avais enfilé un pantalon léger et une chemise grise. J’en étais arrivé au stade où ne plus avoir à porter un costume en permanence me remplissait de joie.

Cet homme m’impressionnait depuis le début de notre relation. Il n’est pas rare au Japon de voir les anciens procureurs se mettre au service d’entités douteuses, tout spécialement les yakuzas, une fois qu’ils ont pris leur retraite. Les mots yameken bengoshi ne sonnent pas trop bien en japonais. Littéralement, ça signifie « un avocat qui a abandonné le métier de procureur » et cette expression reflète le mépris généralisé qui entache tous les ex-procureurs passés dans la sphère privée. C’est presque un synonyme d’« avocat marron ». Igari, lui, faisait partie d’une espèce rare, de ceux qui, après avoir quitté le ministère public, choisissent leur honneur à la place de l’argent et décident de combattre les yakuzas plutôt que de se mettre à leur service. C’était l’un des nombreux aspects de sa personnalité qui m’inspiraient le respect. Igari-san était une légende dans l’univers de la lutte contre la criminalité ; il avait écrit plusieurs livres sur les moyens de combattre le crime organisé et d’empêcher son intrusion dans les milieux d’affaires. Une fois assis à table, nous échangeâmes les traditionnelles phrases de courtoisie, puis il en vint droit au but.

« Alors, vous avez apporté le matériel ?

— Je l’ai apporté, oui, dis-je en lui tendant une enveloppe en papier kraft.

— Je regarderai ça tout à l’heure. Je me connais. Si je commence à lire ça, je ne pourrai plus m’arrêter, notre repas
va refroidir et ma bière va tiédir. Alors, avant toute chose,
mes félicitations. Je suis persuadé que vous êtes soulagé de savoir que ce type n’est plus un boss des yakuzas, mais un ex-boss. Et franchement, c’est un tel fils de pute que je pense 11 que tout le Japon va en tirer bénéfice. »

La pile de documents que j’avais apportés à Igari provenait d’un des sous-fifres de Goto. Il s’agissait de notes distribuées au cours d’une réunion de l’échelon supérieur du Goto-gumi au sujet des changements dans les lois japonaises sur le crime organisé. Bien entendu, un ancien procureur devenu avocat des gangsters participait à la réunion et avait expliqué les nouvelles lois et leurs failles. Vous vous deman- dez peut-être pourquoi l’un des propres hommes de Goto m’avait fourni des documents internes de ce genre. La raison était toute simple : le gars détestait son chef.

Puis Igari me dit alors, comme il me l’avait écrit dans un e-mail : « Votre ténacité et votre détermination à l’abattre ont fini par payer. Vous avez écrit l’article qui a provoqué sa chute et ça, c’est remarquable. C’est un véritable exploit. Vous avez fait quelque chose que la police n’aurait jamais réussi à faire. »

Je ne savais pas trop quoi répondre. Ça me semblait tou- jours aussi irréel, et pourtant je me rendais bien compte que j’avais accompli quelque chose. Après une si longue série de défaites, c’était plutôt agréable de se retrouver du côté des vainqueurs. Igari et moi étions tous les deux d’excellente humeur. Le Westin Hotel semblait un décor parfait pour les circonstances. Un autre soir d’octobre, sept ans plus tôt, Igari avait aidé l’hôtel à se débarrasser de son client et résident le plus encombrant, Tamadasa Goto en personne. L’hôtel avait autrefois servi de résidence secondaire à Goto. Il en avait été chassé, tout comme il se voyait à présent chassé de son foyer au sein des yakuzas.

 

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