À la poursuite de la tornade, à la poursuite de soi
À l’origine de ce livre, il y a une expérience hors du commun pour un reportage télé. Alors que les images sont dans la boîte, Simon Fichet revit son voyage en boucle. Un an plus tard, il n’a d’autre choix que de se mettre à écrire.
» Rien n’y faisait, je continuais d’y penser, souvent, très souvent, trop souvent. »
Au retour de ce reportage sur les chasseurs de tornades pour France 2, j’étais exténué, même un peu perché, il faut bien l’avouer, et je me suis dit : « C’est normal, c’était intense, ça va passer. » Mais ça ne passait pas. Je ne cessais de scruter le ciel, d’envoyer des photos de nuages à mon collègue journaliste, de vérifier les prévisions météorologiques et de formation d’orages. Je me suis également mis à suivre des storm chasers sur les réseaux sociaux, à regarder toutes les photos et vidéos de tornade postées sur Internet… Impossible de prendre du recul sur ce que j’avais vécu. L’été qui suivit fut particulièrement éprouvant d’un point de vue psycho-météorologique.
En septembre, j’ai repris les tournages de manière intensive, croyant qu’ainsi j’allais pouvoir laisser plus facilement derrière moi les Grandes Plaines et la Tornado Alley. Oublier les vortex. Rien n’y faisait, je continuais d’y penser, souvent, très souvent, trop souvent. Cela devenait une obsession.
J’ai continué de vivre comme ça jusqu’au printemps suivant, lorsqu’une nouvelle angoisse s’est mise à me travailler : « Cette histoire n’existe que dans ma tête et dans celles de mes compagnons, bientôt nos souvenirs s’effaceront. Pire, lorsque nous mourrons tous les quatre, notre histoire disparaîtra, personne ne saura jamais ce que nous avons vécu là-bas. »
Un matin de vacances, quasiment un an après notre départ pour les États-Unis, j’ai décidé d’écrire pour que ma famille, mes amis, mes futurs enfants sachent un jour ce qui nous était arrivé. J’ai commencé à noter tout ce dont je me souvenais. Les souvenirs jaillissaient pêle-mêle, se bousculaient les uns les autres comme de petits diablotins trop longtemps compressés dans leur boîte. Ça sortait et je n’écrivais pas assez vite, j’avais peur qu’une multitude de détails, d’images, de sensations ne s’envolent au premier courant d’air. En retranscrivant mes carnets sur ordinateur, je me suis mis à chercher des infos, à vérifier nos itinéraires, à me renseigner sur les villes que nous avions traversées, à enquêter sur notre périple et, par conséquent, à prendre un peu de hauteur. J’ai alors compris qu’il n’y avait pas que l’inquiétude de voir cette histoire disparaître qui me motivait, mais un sentiment plus profond dont les contours exacts étaient encore flous. Il m’a alors fallu beaucoup de temps pour replacer dans son contexte chacune de mes décisions, creuser mes peurs et mes angoisses, reprendre la route et remonter la piste de ce monstre que j’avais vu danser sur la plaine et qui avait, sans me le dire, bouleversé ma vie.