D’argent et de liberté
Au commencement de Voyage au Liberland, il y a l’affinité commune de Grégoire Osoha et de Timothée Demeillers pour les Balkans. Puis, au long de leur enquête, de nouvelles problématiques ont pris le dessus, à commencer par la notion de liberté.
Les Balkans sont au cœur de plusieurs de vos projets. D’où vous vient votre intérêt pour cette région ?
Nous voyageons dans les Balkans depuis plus de dix ans. Nous y avons coréalisé deux films documentaires : l’un à Vukovar en Croatie en 2016 sur la division communautaire entre Serbes et Croates et l’autre au Kosovo en 2018, qui s’interrogeait sur les identités conflictuelles du pays dix ans après sa création. Ces deux projets nous ont amenés à nous rendre à de nombreuses reprises sur place, tant pour l’enquête que pour les diverses sessions de tournage. Au-delà de ces projets professionnels, c’est une région que nous connaissons bien tous les deux pour y avoir séjourné longuement et y avoir tissé de fortes relations amicales. Les Balkans nous passionnent parce qu’ils questionnent des thèmes qui nous sont chers : les frontières, les minorités, la construction identitaire, les nationalistes et les sociétés post-conflit. Ces dernières posent des questions fondamentales : comment se font et se défont les identités ? Comment vivre ensemble ? Comment rencontrer l’autre sans se perdre soi ? Et c’est d’ailleurs sur place que nous avons, pour la première fois, entendu parler du Liberland.
Dans le projet du Liberland, une utopie libertarienne, la notion de liberté est centrale et elle est de fait questionnée tout au long de votre récit. Comment décririez-vous la liberté défendue par les libertariens ?
La liberté est en effet consubstantielle au projet du Liberland. C’en est même sa raison d’être. C’est cependant une liberté bien particulière qui est revendiquée par les libertariens : une liberté égoïste ou, en tout cas, extrême dans son individualité. C’est la liberté de faire absolument ce que bon vous semble tant que cela ne nuit pas à la propriété d’autrui. Un universitaire canadien la qualifie de « liberté adolescente ». Dans une société libertarienne, absolument tout est privatisé, ce qui n’est pas sans créer certains paradoxes. Ainsi, si le territoire entier, y compris les chemins et les routes, est constitué de propriétés privées, alors la liberté de circuler s’en voit considérablement réduite. Un autre paradoxe étonnant que nous avons pu observer réside dans la tension entre une résistance farouche à se soumettre à des règles extérieures et l’envie pourtant de participer à une aventure collective.
Voyage au Liberland est le résultat d’une écriture commune, à quatre mains. Est-ce que vos expériences respectives de journaliste et de romancier se sont nourries l’une et l’autre ?
C’était un travail intéressant, qui nécessitait de trouver un compromis entre nos deux styles et approches d’écriture, mais aussi entre nos différents regards et expériences sur les thèmes abordés et les personnages croisés. L’expérience était au final riche et a permis, il nous semble, d’aiguiser le récit grâce à nos personnalités distinctes mais complémentaires. Et puis ces textes à la croisée entre récit et enquête journalistique sont ce qui caractérise la non-fiction et ce qui fait la marque de fabrique de Marchialy !